Depuis les années 1980, la géopolitique a connu un certain succès, en grande partie grâce aux efforts de ses spécialistes, mais aussi à l’opinion publique, qui veut satisfaire sa curiosité afin de comprendre les changements dans un monde de l’environnement est devenu plus complexe. Comme le soulignent Frédéric Lasserre et Emmanuel Gonon, nous assistons au « retour d’une discipline aujourd’hui à la mode ». La géopolitique, marginalisée après la Seconde Guerre mondiale dans la plupart des États développés, à l’exception des États-Unis, connaît un regain d’intérêt pour répondre à une demande croissante de connaissances sur la mondialisation du commerce, les différends frontaliers, les conflits armés, les questions environnementales, etc., des observations géographiques, sociales et même environnementales, propose une approche qui nous permet de rendre compte des enjeux du pouvoir dans les territoires et des images que les hommes construisent à partir d’eux » 1. La géopolitique des médias peut être considérée comme l’une de ces approches de la discipline. Dans géographie, qui étudie la relation entre territoires et hommes, elle a tendance à se développer, depuis les années 1980, sous l’impulsion de plusieurs représentants tels que Jacques Barrat (Université Paris 2-Assas) ou Henry Bakis (Université Montpellier 3). Néanmoins, il semble relativement inconnu parmi les géographes alors que son développement est enrichi par de nouvelles approches parallèlement aux progrès des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Quelle est la spécificité de la géopolitique des médias et quels pourraient être les domaines de recherche les plus importants dans la discipline ? Afin de fournir certains éléments de réponse, trois aspects seront abordés : le manque relatif de connaissance de la géopolitique des médias, ses approches les plus développées et les domaines de recherche actuels.
Une géopolitique peu connue des médias
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Géopolitique et médias
La géopolitique des médias est un puits domaine d’études marginalisé au sein de la géographique2. Bien que certains géographes se soient intéressés dès les années 1980 à cette approche de la géopolitique, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas bien connue des géographes. Les raisons sont diverses. La pluralité des sujets de géographie (p. ex. environnement, biogéographie, géomorphologie, géographie économique, aménagement du territoire et urbanisme, géographie sociale et culturelle) attire les chercheurs et les étudiants vers des parcours autres que ceux des plus aigus. La faible représentation de la recherche médiatique en géographie devrait également être soulignée, comme la rareté des centres de recherche, l’absence de ponts institutionnels entre la géographie et l’information-communication.
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La géopolitique des médias apparaît comme un champ de recherche pour approfondir et faire pleinement connaître dans la communauté des géographes en France. Si l’Union géographique internationale (UGI) comprend une commission mondiale de la société de l’information, il faut reconnaître que peu de géographie française les chercheurs consacrent leurs activités dans ce domaine. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de géographie de l’information. Au contraire, une génération de jeunes chercheurs a tendance à s’y intéresser, avec un nouvel enthousiasme pour toutes les questions géopolitiques.
Une géographie des réseaux de télécommunications
L’ approche médiatique en géographie s’est surtout concentrée sur les réseaux de télécommunications dès les années 1950. Le travail est essentiellement de nature statistique, comme celui de François Cusey sur la cartographie des flux téléphoniques en Lorraine entre 1957 et 19593. D’autres études sont en cours pour examiner le rôle des télécommunications dans le développement des pays, leur impact sur la mondialisation des échanges économiques et l’analyse spatiale des nouveaux liens sociaux créés par le cyberespace. Entre autres auteurs, Henry Bakis, depuis les années 1990, a grandement contribué à faire connaître cette approche de la géographie à la fois au sein de la communauté géographique française et au sein de l’Union géographique internationale. Il est l’inventeur de la notion de « géocybergéographie4 », exposée en 1997 à la conférence de Palma de Majorque (UGI), qui vise à reconsidérer l’espace géographique et à intégrer de nouvelles activités sociales dans des espaces virtuels interconnectés et stimulés par les technologies de réseau et de flux. Gabriel Dupuy, dans Internet, Géographie d’un réseau (2002), analyse le développement de ce nouveau média à partir des itinéraires des flux, de la structure du réseau, des centres et des périphéries, des nouvelles frontières et de l’aménagement du terre5. Plus récemment, ce sont aussi les réseaux de télécommunications liés à l’aménagement du territoire que le géographe Bruno Moriset aborde en soulignant la fracture numérique et les territoires privés d’accès à l’Internet à haut débit en France (2010) 6. Tout un courant de pensée en géographie tend à se développer à partir de ce concept basé sur les réseaux de télécommunications, dont les principales réalisations ont été publiées dans le magazine Netcom depuis 1987.
D’ autre part, la géopolitique des médias est encore très secondaire dans la production scientifique et dans la géographie des réseaux de télécommunications. Entre autres exemples, Frédéric Lasserre et Emmanuel Gonon, dans le manuel officiel de géopolitique (2008), ne mentionnent pas l’importance des technologies de l’information et de la communication dans les concepts fondamentaux de la géopolitique7. Tant dans la recherche que dans l’enseignement supérieur, la géopolitique Le travail de Jacques Barrat et Francis Ballle (Institut français de presse de l’Université de Paris2-Assas, laboratoire du CNRS Carisme) a grandement contribué à renforcer cette dimension spatiale et politique des médias. Comme le souligne Jacques Barrat, « la prise en compte des phénomènes de communication et d’information, ainsi que des outils utilisés à cet effet, est absolument primordiale dans l’approche de la géopolitique. De même, la géopolitique s’intéresse particulièrement aux médias parce qu’ils sont souvent fondamentaux éléments dans l’explication de la relation entre l’homme et son environnement politique » 8. Pour lui, les médias sont deux composantes majeures de la géopolitique puisqu’ils sont à la fois des acteurs et des réflexions sur les changements géopolitiques. Mais paradoxalement, au-delà de La géographie des médias de Jacques Barrat (thèse d’État publiée en deux volumes en 1992) 9, les géographes spécialisés en géopolitique ne se sont pas encore intéressés à considérer toutes ses dimensions, et peu de géographes dans ce domaine sont engagés dans la recherche. Sans être exhaustif, on peut citer Henry Bakis, auteur d’une Géopolitique de l’information (1987) 10 et Frédérick Douzet (Institut français de géopolitique, Université Paris 8) dont le travail se concentre sur la cyberdéfense.
Une géopolitique nécessaire des médias
La géopolitique des médias semble donc nécessaire pour comprendre les changements de notre environnement. Dans un monde caractérisé par la part croissante des les technologies de l’information et de la communication, il pourrait s’agir d’une approche privilégiée pour les études géographiques actuelles.
Les changements géopolitiques sont représentés dans les médias et accélérés ou provoqués par les médias, comme le souligne Jacques Barrat. Cela est démontré par le rôle joué par les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, lors des soulèvements dans les pays arabes (Égypte, Tunisie, Libye, Bahreïn, Maroc, Syrie) en 2011. Cependant, paradoxalement, la géopolitique des médias reste inconnue et marginalisée au niveau institutionnel, peu identifiée par une approche originale et non seulement par les médias eux-mêmes, mais aussi par les développements géopolitiques actuels. Compte tenu des progrès rapides en cours, on suppose que cette approche de la géographie suscite un regain d’intérêt, comme le font actuellement un grand nombre de thèmes géopolitiques.
Quelle approche géopolitique ?
Qu’ est-ce que géopolitique ?
La définition de la géopolitique des médias se réfère d’abord à la géopolitique et à la géographie politique. Celles-ci se sont développées principalement à partir du XIXe siècle en Europe, en tant que discipline universitaire, bien que, dans la pratique, les stratèges, les princes comme les commerçants, l’aient utilisé comme outil de décision depuis les temps anciens. Ils ont connu une croissance constante dans la première moitié du XXe siècle en raison des politiques de rivalité des grandes puissances (URSS, Japon, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis) avant de passer par une phase de déclin en Europe. Nous devons attendre la fin de la guerre froide pour redécouvrir une nouvelle géopolitique liée à la mondialisation des échanges économiques, à l’émergence de nouvelles tensions et menaces, à l’émergence de nouvelles puissances.
Les définitions de la géopolitique sont diverses. Yves Lacoste, père fondateur de l’école française de géopolitique dans les années 1970, considère qu’il s’agit de l’étude des discussions et des controverses entre citoyens d’une même nation11. Frédéric Lasserre et Emmanuel Gonon, plus récemment, le définissent comme une analyse des questions de pouvoir dans les territoires. Pour Jacques Barrat, cette définition n’est pas simple. La géopolitique « vise à étudier les plans politiques des principaux acteurs de notre planète en ce qui concerne leurs relations entre géographie, acteurs majeurs et institutions politiques » 13. Stéphane Rosière met en lumière les stratégies de l’espace, les relations de pouvoir (plan interne) et de puissance (plan externe), les éléments matériels et immatériels tels que l’importance de la représentation14.
Ces définitions coïncident avant tout avec l’idée de rivalités de pouvoir, de luttes d’influence entre différents acteurs sur un territoire donné et à des échelles géographiques variables. La géopolitique des médias consisterait donc en l’étude des rivalités entre les acteurs des médias, la représentation de ces luttes d’influence par les médias. Pour Jacques Barrat, cela nous permet de comprendre les grands déséquilibres du monde d’aujourd’hui, car ils sont les acteurs et les réflexions d’eux. Surtout, les sources d’information, les outils d’information, la capture d’audience sont deux questions de domination de l’opinion publique en tant que moyen privilégié de comprendre les stratégies de contrôle, les tensions et les rivalités entre les acteurs.
Les quatre critères de la géopolitique des médias
Cette géopolitique des médias repose sur quatre critères développés par Francis Balle et Jacques Barrat, dont le premier est les infrastructures qui permettent le fonctionnement des médias. Cela nous permet de comprendre l’évolution des nouvelles techniques à différents moments. Le concept de réseaux de communication est au cœur de cette approche. Par exemple, l’utilisation des câbles téléphoniques sous-marins et de la navigation à vapeur au XIXe siècle a changé le marché mondial du coton. L’utilisation du télégraphe transatlantique met les producteurs américains en contact permanent avec les villes manufacturières de Nord de l’Angleterre. L’essor des infrastructures de communication au XXe siècle a entraîné une baisse des coûts, une amélioration des performances et des connexions internationales.
Le deuxième critère est celui de la production médiatique. Sa géopolitique est plus complexe à étudier selon les types de médias. La production télévisuelle et radiophonique s’est tellement développée partout dans le monde qu’il reste difficile d’inventorier et de cartographier. D’autre part, la production cinématographique semble moins complexe car elle est concentrée principalement en Inde, aux États-Unis, au Japon et en Europe. La géographie des festivals internationaux révèle ainsi la prépondérance occidentale. Les principaux événements sont dans les pays développés : 26 festivals internationaux dans les grandes villes américaines, contre un seul en Inde (Calcutta) et deux en Chine (Hong Kong et Shanghai).
Le troisième critère est celui de la consommation, dont l’analyse présente un intérêt pour les groupes d’enquête et les annonceurs. Sur la base de critères (âge, sexe, alphabétisation, liberté d’exportation, etc.), son étude demeure complexe et met en lumière les différents groupes publicitaires, stratégies, messages et cibles mondiaux. Les agences de publicité jouent un rôle dans l’influence de l’opinion publique et constituent des réseaux mondiaux. Dans le même temps, la géopolitique de la consommation permet non seulement d’aborder la dynamique de l’influence à différentes échelles géographiques, mais aussi d’aborder une géographie sociale et culturelle des comportements, des goûts, des hiérarchies sociales et des usages. La dimension géopolitique se rencontre surtout dans les stratégies d’influence et les rivalités de pouvoir entre acteurs, tels que les agences de presse ou les agences de publicité. L’Agence de presse Xinhan (400 correspondants et une vingtaine de bureaux dans le monde) a connu une augmentation sans précédent du pouvoir depuis 2008, date à laquelle une nouvelle doctrine d’État sur l’utilisation des médias a été adoptée. En 2010, la création de China Xinhua News Network Corporation (CNC), une chaîne d’information continue de langue anglaise, tend à concurrencer CNN, la BBC et Al-Jazira. Son travail vise à soutenir la stratégie médiatique internationale et la diplomatie ouverte de la Chine. En Afrique, par exemple, il aide à rivaliser avec les médias occidentaux, à promouvoir le modèle chinois et à guider l’opinion publique.
Le quatrième critère est celui des flux d’information. Avec l’expansion des types de réseaux de télécommunications, cette géopolitique a pris une ampleur croissante au XXe siècle. Elle nous permet de comprendre les stratégies d’influence, la diversité des acteurs, les rivalités du pouvoir. L’analyse de la géographie de la distribution des câbles sous-marins et des flux Internet dans le monde révèle d’importantes autoroutes reliant principalement l’Amérique du Nord à l’Europe et à l’Asie (en particulier le Japon). Il met en lumière la fracture Nord-Sud (80 % des utilisateurs dans les pays développés) dans les années 2000, les inégalités dans le développement des nouvelles technologies et l’utilisation d’Internet. Toutes ces données révèlent la puissance des réseaux de communication et ont des implications géopolitiques dans de nombreux domaines (politique et diplomatique, économique, militaire, etc.).
Trois catégories de concepts fondamentaux
Sur la base de ces quatre critères, la géopolitique des médias conduit à l’identification d’au moins trois catégories de concepts fondamentaux et permanents. Le premier concerne les réseaux d’information et de communication. Marie-Claude Cassé, dans « Réseaux de télécommunications et construction territoriale », a montré l’importance de ce concept dans l’approche des télécommunications. Il s’intéresse à plusieurs catégories de concepts : les nœuds et les embranchements, la diffusion et la connexion aux lieux entre eux, la structure du réseau, son accessibilité et son rythme de développement15
. Le réseau de la chaîne Al-Jazeera depuis 1996, créé pour répondre aux besoins diplomatiques du nouvel émir du Qatar (Cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani), est un exemple parmi d’autres. Son réseau de 70 bureaux et filiales est l’un des principaux groupes audiovisuels internationaux et révèle sa stratégie d’influence continue : la filiale d’Al-Jazeera Sport pour le Moyen-Orient et l’Afrique en 2003, Al-Jazeera Children en 2005, une filiale d’information anglophone (Al-Jazeera English) en 2006 pour les téléspectateurs non arabophones du Nord Amérique et Asie, filiale Al-Jazeera Balkans en 2011, beIN Sport 1 et 2 en 2012 en France qui deviendra la base de son développement pour conquérir l’opinion européenne. Son réseau de chaînes couvre quelque 40 millions de téléspectateurs et joue un rôle influent dans le traitement médiatique des événements. Son implication dans la révolte arabe égyptienne en 2011 a révélé sa force d’action et de persuasion.
L’ importance accordée aux réseaux de stations de télévision et de radio reste une caractéristique permanente pour les puissances mondiales et régionales. Le réseau crée un espace de sécurité et de représentation visant à renforcer l’influence des acteurs concernés. Le réseau des émetteurs américains autour de l’Iran est aligné sur celui de 22 bases militaires en 2010. Les réseaux médiatiques mis en place nous permettent de créer des liens matériels (images, sons, etc.) et intangibles (idées, idéologies), de structurer l’espace et de répondre à une stratégie globale (politique, économique, culturelle) de conquête.
Un deuxième concept géopolitique fait référence à la notion de « périphérie centralisée », qui constitue également l’un des axes traditionnels de réflexion en géographie. Il permet de mesurer le degré d’intégration médiatique dans un espace, de comprendre le contrôle du territoire à travers la couverture médiatique, les interconnexions des sous-espaces au sein d’un territoire. Dans l’organisation du réseau Internet mondial dans les années 2000, une logique similaire de centres et de périphéries peut être remarquée. Les villes côtières des États-Unis en sont le centre historique, l’intérieur des États-Unis est la semi-périphérie, tandis que les autres régions du monde forment la périphérie.
Le concept de « périphérie centrale » dépend donc de la géographie des acteurs et des capacités technologiques qui émettent aux espaces à placer sous influence. Il permet d’identifier les stratégies de connexion de ces acteurs afin d’encapter un territoire dans un réseau médiatique à travers une série de médias tels que la télévision numérique, la radio et l’Internet. Le projet mis en place par la British Broadcasting Corporation, dont le service arabe a été fondé en 1938, révèle cette stratégie de puissants centres émetteurs pour couvrir le Moyen-Orient et l’océan Indien17. De Chypre et de Massirah (Oman), des deux côtés du Moyen-Orient, la station est devenue un médium de référence pour 14 millions d’auditeurs arabophones dans les années 1990, grâce à la puissance de ses émetteurs, à son réseau de vingt antennes et à son réseau de deux antennes ou plus. programmes de streaming 18. À la suite de la guerre du Golfe de 1990-1991, son influence a atteint un en raison de l’arrivée de nouveaux immigrants asiatiques anglophones dans le golfe Arabique et de l’introduction de programmes dans d’autres langues (ourdou, bengali, hindi, indonésien) diffusés à partir de Massirah et pouvant être reçus jusqu’au sous-continent indien. A partir de ces deux émetteurs, une véritable stratégie de « connexion globale » s’est ainsi développée.
Enfin, un troisième concept lié à la géopolitique des médias concerne le domaine des représentations géopolitiques. Comme l’a souligné Jacques Barrat, les médias reflètent les changements géopolitiques. Cette autre approche concerne, en général, la structure cognitive du traitement des médias, la conceptualisation des événements. Il analyse les discours, images et médias utilisés, dont l’objectif est de comprendre les enjeux qui constituent le territoire et les stratégies territoriales des acteurs de l’opinion publique.
Bref, l’approche géopolitique dans l’étude des médias montre une variété de critères et de concepts qui évoluent en fonction des spatialités et des temporalités de l’objet étudié. Il montre différents rythmes (temps, « long », immédiat) comme un éventuel emboîtement d’échelles spatiales (du local à la planète), si important en géographie. Dans le même temps, le principal point commun de ces différentes clés analytiques reste l’étude des rivalités de pouvoir entre les différents acteurs.
Une géographie des rivalités de pouvoir
Sensibilisation et influence luttes dans les relations internationales
La géopolitique des médias fait essentiellement partie des rivalités de pouvoir, qui peuvent à leur tour être divisées en plusieurs catégories de thèmes. L’une d’elles concerne les stratégies et les luttes d’influence entre les différents acteurs. Les médias, en tant qu’instrument au service de l’État ou d’acteurs non étatiques, ont la capacité d’influencer les comportements et de prévaloir dans une situation de rivalité ou de rivalité. conflit. Pour Loup Francart, dans Infosphère et intelligence stratégique (2002), le statut de puissance internationale est étroitement lié à la contribution de la révolution de l’information. L’auteur distingue quatre fondements de capacités essentielles pour s’imposer à l’Autre : avoir (richesse, économie, population, culture), pouvoir (NTIC comme source de pouvoir, médias en réseau), savoir (connaissance et anticipation) et volonté (idéologie, gouvernance). La capacité de connaître et de communiquer est l’un des enjeux clés pour tout acteur qui a tendance à grandir.
Ces divers aspects se retrouvent dans la diplomatie ouverte, devenue de plus en plus importante depuis les années 2000. Il s’agit de l’action visant à promouvoir l’intérêt national par l’information et l’influence auprès de publics étrangers. Elle vise à exporter sa culture ou sa vision du monde pour convaincre la légitimité de son action. Pendant la guerre froide, les États-Unis ont eu tendance à montrer une image attrayante à travers une variété de canaux médiatiques. Au cours des années 2000, un projet similaire (le Grand Moyen-Orient) vise à réorienter politiquement le monde islamique, du Maroc aux monarchies du Golfe Persique, et à développer une culture démocratique par l’utilisation de nouveaux moyens d’information et de communication.
Suivant cette approche, on distingue la question de la géopolitique des médias dans les conflits. Ce sont là l’une des sources fondamentales de la guerre en tant qu’acteur et le reflet de son déroulement. D’une part, ils sont considérés comme des outils de guerre. Ils peuvent être des acteurs de la propagande et de la manipulation, de la subversion, de la désinformation (guerre de l’information depuis les années 1970), de la maîtrise de l’information permettant le contrôle de l’action et de l’espace. D’un autre côté, ils reflètent les mutations des conflits dans le monde, montrent une représentation du conflit à travers le rôle des journalistes et une perception des conflits à travers la diversité des médias (presse, photographie, télévision, radio, Internet, etc.). Comme l’a souligné Dominique Wolton dans War Game, Information and War (1991), la guerre du Vietnam a marqué un tournant dans le traitement médiatique des conflits en faveur de la liberté de l’information20. Mais chaque conflit fait référence à une situation spécifique et à un traitement médiatique.
Géopolitique des médias et inégalités de développement
Une deuxième approche de la géopolitique des médias concerne les inégalités de développement. Le travail pionnier de Jacques Barrat, la Géographie économique des médias (1992), a montré la valeur d’une telle approche, celle des inégalités Nord-Sud, Sud-Sud et Nord-Nord-Nord-Nord21.
Cette géoéconomie des médias couvre divers sujets tels que l’infrastructure technique, la production de contenus et de programmes, la consommation de la presse écrite, les émissions de radio et de télévision, les flux de programmes entre pays producteurs et pays consommateurs, le rôle des agences de presse. Cette approche géographique des médias révèle ainsi une diversité d’inégalités, y compris l’opposition entre les pays du Nord, celle entre les pays du Sud liés au niveau de la modernisation économique (alphabétisation, niveau de vie, religiosité, censure entre autres). Il souligne également le lien étroit qui existe entre la croissance économique et le développement de l’information et de la communication, comme en témoigne le décollage économique de la Corée du Sud et du Japon dans les années 1970-1980.
D’ autres études plus récentes ont également mis en évidence le lien entre le développement économique et les technologies de l’information et de la communication. Entre autres exemples, Clarine Didelon et Blandine Rippert ont analysé ces inégalités de développement régional au sein de la fédération indienne, Valerian Été a examiné une approche géopolitique similaire des technologies de l’information et de la communication au Moyen-Orient 22.
Stratégie d’influence militaire et médias
Enfin, une dernière approche géopolitique concerne la « guerre de sens » et les rivalités d’influence dans l’infosphère. Cet espace d’information est un lieu de rivalités pour les acteurs économiques et politiques d’une part, et pour les acteurs militaires d’autre part. Pour ce dernier, la lutte pour le sens prend une dimension croissante depuis les années 2000. « La période récente, de la guerre de libération du Koweït à l’Afghanistan, a été caractérisée par une redécouverte par toutes les armées occidentales des relations avec les médias », souligne Laurent Teisseire, Directeur de l’information et de la communication de la défense23. L’infosphère est devenue un espace décisif dans les opérations extérieures depuis la fin de la guerre froide24. De plus en plus, l’armée s’appuie sur l’information pour transformer le contexte, le façonner en influençant les décisions et les opinions.
Cette dimension pourrait être associée à la notion de guerre par, pour et contre l’information au sens militaire, comme décrit par François-Bernard Huyghes25. Il s’agit des manœuvres menées par le stratège à tous les niveaux d’action dans les domaines stratégique, opérationnel et tactique. La guerre de l’information vise donc à diffuser une vision favorable de ses objectifs (affaiblir leur rival par des discours ou des attaques qui sapent leur image et leur système d’information), à acquérir des connaissances décisives pour mener une opération militaire, à contrer les manœuvres ennemies parmi l’opinion publique ou les décideurs, et assurer la sécurité de l’ennemi la sécurité de ses propres systèmes d’information.
L’ idée d’utiliser l’influence dans les opérations de stabilisation n’est pas nouvelle, puisqu’elle est déjà mise en œuvre, par diverses méthodes, dans les colonies nord-africaines par Lyautey, Tonkin et Madagascar par Gallieni au XIXe siècle. D’autre part, l’importance attachée à la stratégie d’influence dans les théâtres d’opérations, aux côtés d’autres nations impliquées dans des opérations multinationales, révèle une autre dimension et adaptation aux circonstances géopolitiques actuelles. La plupart des armées modernes, comme l’armée américaine, renforcent actuellement leur approche de leur stratégie d’influence militaire. Le général Vincent Desportes a considéré, dans Penser autrement, la guerre probable (2007), que « la guerre probable n’est pas entre les sociétés, mais dans les sociétés » 26. Les gens sont devenus la cible principale de la manœuvre de communication afin de les rallier à la volonté de la puissance intervenante. Il est nécessaire de « gagner les cœurs et les esprits », soulign-il avec nuance, en démettant un message clair : est conçu pour un avenir meilleur dans l’intérêt du peuple.
Aucune opération de stabilisation, dont le nombre a augmenté depuis les années 1990, ne peut être effectuée sans tenir compte de la manœuvre informationnelle. C’est le cas, par exemple, du programme d’alphabétisation radiophonique lancé en Afghanistan en 2011 pour mieux comprendre la signification des forces de l’OTAN et le Programme américain d’éducation à la radio d’alphabétisation en 2012. Ces dernières devraient promouvoir la diffusion de certaines valeurs (droit des filles à l’école, égalité entre les sexes) et contribuer au développement de l’alphabétisation.
Les expériences menées par l’armée en Afghanistan depuis 2009, qui valorisent le rôle de l’influence dans le renforcement de l’adhésion de la population aux valeurs et aux actions mises en œuvre, ont à leur tour créé une nouvelle dynamique dans ce domaine. Le général McChrystal, qui commandait la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan en 2009-2010, a renforcé le rôle stratégique des communications et en a fait un centre de gravité pour les opérations. L’armée française, engagée à ses côtés en Afghanistan, tient également compte de ses propres expériences. Elle a créé, à Lyon en juin 2012, le Centre commun d’action pour l’environnement et a élaboré une nouvelle stratégie d’influence militaire28.
Bref, la géopolitique des médias appartient à la fois au domaine de la géographie et au domaine de l’information et de la communication. Elle se caractérise par la diversité de ses approches, de ses concepts et de ses problèmes, dont le caractère commun est lié à la notion de rivalités de pouvoir dans un territoire donné. Les quelques exemples et études cités ci-dessus tendent à montrer certains aspects de cette situation. L’étude des technologies de l’information et de la communication est l’une des façons de comprendre les changements dans notre environnement géopolitique.
Notes :
1. — retourn2. — retourn3. — retourn4. — retourn5. — retourn6. — retourn7. — retourn8. — retourn9. — retourn10. — retourn11. — retourn12. — retourn13. — retourn14. — retourn15. — retourn16. — retourn17. — retourn18. — retourn19. 20. — retourn21. — retourn22. — retourn23. — retourn24. — retourn25. — retourn26. — retourn27. — retourn28. — retour
PDF N°26-27 Printemps – Été 2013